L'humanité 3.0 sera-t-elle humaine?



De nouvelles technologies visent à modifier la manière dont l’homme, son corps et son cerveau fonctionneront et interagiront avec leur environnement, elles participent de l’augmentation de l’homme par l’informatique et la techno-médecine et modifient des données essentielles de notre vie, comme le vieillissement, l'intelligence, la procréation. Des questions éthiques se posent devant un tel phénomène.

La machine «apprenante»  devrait permettre à la fois une hausse de la productivité des travailleurs les plus qualifiés, une fiabilisation de la prise de décision et l’automation des emplois intellectuels de base. Les robots de nouvelle génération, sont de plus en plus incorporés aux hommes sur les chaînes de production. Les équipés de capteurs effectuent des tâches de plus en plus complexes et remplacent les salariés dans les emplois de production mais aussi de service. Dans les hôpitaux, les robots dotés d’une vision haute définition et d’un logiciel de reconnaissance d’image peuvent positionner précisément les objets pour les opérations délicates. Les chirurgiens sont assistés par des systèmes miniatures de chirurgie robotique, réduisant à la fois la durée des procédures, leur caractère invasif et le temps de récupération du patient. Les personnes souffrant de paralysie après un traumatisme médullaire peuvent remarcher grâce à un exosquelette robotisé directement connecté au système nerveux…

La génomique avancée combine les progrès dans la science du séquençage et la modification du matériel génétique avec les dernières avancées en matière d’analyse de données Big data. En 2013, un génome humain pouvait séquencer en quelques heures (projet Human Genome Project). Avec le séquençage rapide et les nouvelles puissances de calcul, les médecins peuvent tester l’impact des différences génétiques sur les maladies y compris dans les diagnostics de routine, afin de concevoir des traitements sur mesure pour les patients.

La biologie de synthèse, la possibilité de fabriquer des organismes en écrivant leur ADN,  impacte sur la médecine, l’agriculture et la production de substances à haute valeur ajoutée tels que les biocarburants, accélèrent le processus de découverte de nouveaux médicaments. Ces technologies appartiennent à une famille (NBIC) nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives. C’est la convergence de ces approches qui peut apporter des progrès scientifiques dans la connaissance de l’homme et du cerveau. Dès 2002, la National Science Foundation (NSF) et le département américain du Commerce, publiaient conjointement le rapport «Technologies convergentes pour l’amélioration de la performance humaine». Il comprenait cette assertion: «l’ingénierie de l’esprit est une entreprise qui se révélera techniquement difficile. Nous sommes convaincus que les avantages pour l’humanité seront supérieurs. La compréhension de la manière dont fonctionnent l’esprit et le cerveau apportera des avancées majeures en psychologie, en neurosciences et en sciences de l’éducation».

La NSF ajoutait : «Une théorie computationnelle de l’esprit peut nous permettre de développer de nouveaux outils pour guérir ou maîtriser les effets des maladies mentales. Elle sera certainement à même de nous fournir une appréciation plus profonde de ce que nous sommes et sur la place que nous occupons dans l’univers. Comprendre l’esprit et le cerveau nous permettra de créer une nouvelle espèce de machines intelligentes, capable de produire une richesse économique sur une échelle jusqu’alors inimaginable. L’ingénierie de l’esprit est donc beaucoup plus que la poursuite d’une curiosité scientifique, beaucoup plus qu’un monumental défi technologique. C’est l’occasion d’éradiquer la pauvreté et d’ouvrir un âge d’or pour l’humanité tout entière ».
L’aspect messianique et le concept même de NBIC est très critiqué, on lui reproche d’être avant tout un concept marketing, forgé par les promoteurs américains des nanotechnologies et des biotechs afin de décrocher des crédits publics.

L’élan donné par la NSF est venu conforter le transhumanisme, un courant de pensée où se croisent chercheurs et grands dirigeants d’entreprises dans les secteurs de haute technologie. En 1999, la Déclaration de l’Association transhumaniste mondiale contenait ces deux articles:
1- Les transhumanistes prônent le droit moral, pour ceux qui le désirent, de se servir de la technologie pour accroître leurs capacités physiques, mentales ou reproductives et d’être davantage maîtres de leur propre vie. Nous souhaitons nous épanouir en transcendant nos limites biologiques actuelles.
2- Nous prêchons une large liberté de choix quant aux possibilités d’améliorations individuelles. Celles-ci comprennent les techniques afin d’améliorer la mémoire, la concentration et l’énergie mentale; les thérapies permettant d’augmenter la durée de vie, ou d’influencer la reproduction ; la cryoconservation, et beaucoup d’autres techniques de modification et d’augmentation de l’espèce humaine.

Leur objectif de long terme, à l’aide des technologies améliorer l’espèce humaine. D’abord réparer l’homme et le libérer de ses vulnérabilités biologiques, puis augmenter ses capacités, notamment cérébrales, pour en faire un homme beaucoup plus solide; enfin, enrayer le phénomène de vieillissement.
Dans son rapport de 2012, « Global Trends 2030 », National Intelligence Council (NIC), insistait aussi sur ces technologies de la transformation transhumaniste. Il évoque les psychostimulants permettant aux militaires de rester efficaces plus longtemps au combat, les implants rétiniens permettant de voir la nuit et dans les spectres non visibles par les humains traditionnels, ainsi que les neuromédicaments décuplant l’attention, la vitesse de raisonnement et la mémoire.

Les transhumanistes espèrent beaucoup des grands projets sur le cerveau comme le Human Cognome aux États-Unis et le Blue Brain en Suisse et Espagne; reconstituer la complexité d’un cerveau humain et de ses quelque 100 milliards de cellules avec leurs connexions, ce le but de deux projets.
Google, l’un des acteurs les plus impliqués dans les projets d’humanité augmentée, forme part d’un projet encore plus hardi, l’université de la singularité. La « singularité » est un concept selon lequel, à partir d’un certain moment de son évolution technologique, la civilisation humaine connaîtra une croissance technologique d’un ordre supérieur. L’«École de la Singularité» annonce même l’avènement vers 2060 d’une intelligence supérieure à l’intelligence humaine!

Depuis décembre 2010 et les découvertes de la Chinese University de Hong-Kong, on réalise un diagnostic génomique complet d’un embryon de trois mois à partir des cellules circulantes, un algorithme, actionné par un ordinateur très puissant, permet de différencier les séquences du futur bébé de celles de sa mère. Des milliers de maladies génétiques pourront donc être dépistées sans faire courir aucun risque ni à la mère ni à l’enfant. L’étape suivante de cette quête de l’enfant parfait, c’est l’implantation de gènes sur demande. Depuis 2009, on sait remplacer les mitochondries (micro-usines produisant les protéines de la cellule) d’une cellule souche de primates. Dès que cela est possible sur l’homme, une fécondation in vitro permet d’optimiser le patrimoine génétique d’un embryon. Cette modification génétique sera transmissible aux générations successives. Tout cela pose de graves problèmes éthiques et plusieurs interrogations qui concernent la définition même de notre espèce. Par exemple, si la fécondation in vitro offre ces options high tech, quel est l’avenir de la procréation naturelle? Quelles conséquences l’élimination des imperfections aura-t-elle sur la biodiversité humaine? La standardisation génétique de l’humanité est-elle un risque systémique ?

En introduisant la génomique dans la culture collective la révolution NBIC bouleverse le calendrier de l’identification des risques. La progression du diagnostic génétique va donc poser rapidement un épineux problème de politique publique. Chacun connaîtra ses risques et les usagers les moins menacés demanderont un allègement de leurs cotisations d’assurance maladie. Le principe de solidarité, qui fonde la sécurité sociale dans la plupart des pays, est en danger. Si on connaît d’avance, avec certitude, celui qui coûtera le plus cher à la société, c’est-à-dire si on libéralise l’accès de chacun à son ADN, les porteurs de «mauvais gênes» pourront-ils encore s’assurer? Puisqu’il est impossible de bloquer l’accès à cette information, chaque pays va devoir réinventer sa politique de santé et les mécanismes d’assurance.

À très long terme, avec l’élimination, par sélection génétique, de certaines maladies, il est possible d’espérer une baisse des dépenses de santé, mais dans les premières décennies de sa diffusion c’est le contraire qui peut se produire. Le système devra affronter pendant quelques générations le double poids des jeunes et de la fin de vie et l’équilibre budgétaire s’en trouvera perturbé.
Certains adversaires du transhumanisme, dont  l’historien Francis Fukuyama, auteur de La Fin de l’homme, reprochent à ce mouvement de promouvoir une forme supérieure de l’inégalité, celle qui règnerait entre hommes naturels et hommes augmentés.

Ces projets aux postulats scientifiques discutables mais exploités avec envoûtement par les auteurs de science-fiction, posent des questions morales fondamentales. Que devient l’homme, l’idée même d’humanité, dans cette vision d’un futur habité de surhommes, car dans ce monde de surhommes, que deviennent les hommes?  Le transhumanisme est déjà une réalité, une construction dynamique par étapes bien réelles dans l’augmentation de l’homme. Comment l’éthique devra-t-elle et pourrait-elle encadrer l’avancée? Comment y adapter le système de santé pour respecter à la fois l’exigence de bio-équité et l’équilibre des finances publiques?

Pour certains chercheurs français le transhumanisme ouvre sur un contractualisme généralisé où la société peut exister sans «bien commun», sans «vivre ensemble» autre que la juxtaposition des individus « libres », délivrés de tout devoir de solidarité. Cela touche à l’idée même de démocratie telle qu’elle s’est développée historiquement, mais aussi à un rapport à l’autre et celui qui s’exprime dans le couple, la famille, la sexualité. La question de la procréation engage celle de la différence des sexes, de la parentalité, et au-delà de l’identité de la personne humaine.

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